Qui se cachent derrière les sapeurs?

Version congolaise du dandysme vestimentaire, la Sape a pris d’assaut le Palais de Tokyo ; l’occasion d’un petit cours magistral sur ce phénomène, par Richard Zingoula, jury lors du 6e salon de la mode de Mayotte, et auteur d’un essai très remarqué sur le sujet.*

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On associe d’office la Sape (Société des ambianceurs et personnes élégantes),  aux dandys mais on ne connait pas toujours ses origines. Où et quand est-elle née ?

Ce phénomène est né avec le retour des anciens combattants des deux guerres mondiales (14-18 et 39-45).Ils sont restés quelques mois à Paris (capitale de la mode). et ont vite compris le pouvoir du vêtement. De retour au pays, ces anciens combattants se retrouvaient dans des cercles; on parlait de la sape, du beau vêtement, de la belle paire de chaussure etc. Evidemment, ils se démarquèrent facilement du reste de la population car, on peut facilement imaginer les vêtements de l’Africain de l’époque, qui n’était jamais sorti de son pays. Ils eurent beaucoup de succès dans les quartiers où ils habitaient. Par imitation, les autochtones voulurent leur ressembler. Voilà comment débuta ce dandysme à la congolaise.

Le phénomène va s’amplifier après l’indépendance, les travailleurs étaient contraints de porter l’uniforme (à l’image de ceux de l’ex. Union soviétique). Pour se rebeller, les gens commencèrent à se tirer à quatre épingles dès qu’ils en avaient l’occasion (les weekends, fêtes, etc.). Toutes les occasions étaient les bienvenues pour se parer.

Comment permettre aux marques créées sur le continent de s’imposer en Afrique ?Les marques créées sur le continent s’imposeront en Afrique lorsque les politiques, sportifs, élites, les artistes musiciens etc. bref les personnes en vue joueront le jeu et que la qualité sera au rendez-vous. Tant que ces personnes ne jureront que sur les marques italiennes et françaises, la partie sera difficile. Il faut donc pour cela, mettre en place des centres de formation et investir dans l’outil de production. Il y a déjà eu des précédents en la matière. L’ex Zaïre du président Mobutu obligeait les Zaïrois à porter les produits vestimentaires confectionnés au pays. Cela avait eu pour conséquence l’émergence des centres de formations, des ateliers digne de ce nom, des produits de qualité et au final, les artisans qui vivaient de leur métier. Pour mémoire, il y avait des cordonniers, des bijoutiers, des maroquiniers etc. D’ailleurs les ateliers de Brazzaville à l’heure actuelle sont souvent tenus par les Congolais de la RDC. C’est dire que cette politique avait réellement porté ses fruits.A cela, il faut à mon avis intégrer l’expertise marketing ainsi que la stratégie commerciale. On a au Congo des experts en la matière. L’organisation des défilés de modes, l’organisation ou la création d’entités (à l’image des chambres de commerces et d’industries) capables de jouer pleinement le rôle de promotion et d’organisation des filières connexes ne pourront qu’aider l’émergence d’un savoir-faire dans le domaine de la confection.

La production sérielle a pour conséquence immédiate de casser les prix. A ce jour, le citoyen lambda ne peut pas s’offrir les services des couturiers car, ces derniers proposent malheureusement leurs produits à des prix   prohibitifs. Pour information, il faut savoir qu’une unité de production clé en main dans le domaine de la confection des matériaux souples peut se négocier à partir de 100.000€. Unité capable d’employer une trentaine de personnes à temps complet.

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Pensez-vous qu’il soit possible à terme de créer une industrie de l’habillement au Congo, capable de créer des emplois et donc des richesses tant la demande est importante. ?

Le véritable client dans ce cas précis serait l’Etat. L’importation des uniformes et accessoires de différents services de l’Etat (les armées, la police, la gendarmerie, la douane, les blouses des soignants dans les hôpitaux, les draps, les gants, les combinaisons des travailleurs dans les secteurs publics et privés etc.) représente une magne en terme de création d’emplois et de richesses. Cette industrie a pour vertu de préparer les employés à la production sérielle. Une production qui exige la qualité et le respect des délais. Lorsqu’un employé intègre ces exigences, il est capable de changer de postes de travail autant de fois durant sa vie car la logique industrielle est partout la même. Que l’on soit dans le secteur de l’automobile, de l’électronique etc., les compétences au niveau de la production sont transférables. Tous les pays industrialisés ainsi que les pays émergents sont passés par là. La maîtrise de l’industrie textile et de la confection est une véritable courroie de transmission vers l’organisation industrielle de tous les secteurs d’activités économiques.

On peut citer le cas de l’Ile Maurice qui avait misé sur le textile et la confection dans les années 70 et 80. Aujourd’hui, force est de constater que ces deux secteurs ne représentent plus que 10% des emplois à Maurice. Entre temps, il y a eu des mutations, des transferts de technologie vers les TIC, les calls centers, l’industrie manufacturières, etc. C’est d’ailleurs l’un des pays d’Afrique qui se portent le mieux en termes socio-économique. J’ai eu la chance de passer plusieurs séjours à Maurice et j’ai pu faire le constat personnellement. Pour preuve, il n’y a pas d’immigrés Mauriciens à l’île de la Réunion malgré une séparation d’à peine 200Km entre les deux îles. C’est dire que leur économie se porte bien.

*Sape et appropriation technologique, Essai, 236 pages, avril 2015, Publibook.

 

 

 

 

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