Une petite fille raconte la guerre, la fuite avec sa mère vers la France dans l’auto du passeur, sa poupée perdue, ses rires et ses peurs… Fiction ou réalité? Le spectacle « L’humanité, tout ça, tout ça » de Kharmoudi Mustapha , se joue au Théâtre de la Manufacture des Abbesses à Paris jusqu’au 6 mars. Entretien avec son metteur en scène, Véronique Essaka-De Kerpel.
Ce conte qui nous donne à imaginer au travers des yeux d‘une petite fille un parcours de migrant a une résonance toute particulière au vu de l’actualité, est-ce difficile de travailler un texte quand le réel dépasse la fiction ?
La réalité nous a rattrapés alors même que nous commencions à créer ce spectacle. Elle a nourri mon travail. ..
Vous souhaitez amener les spectateurs dans un monde entre imaginaire et réalité, où personne ne se reconnaît vraiment mais où tout le monde peut se sentir touché, c’est une façon de faire naître l’empathie ?
Notre société souffre de son besoin systématique de définir l’Autre, cet intime étranger dans un but de domination ou par peur d’être dominé, empêchant bien souvent la vraie Rencontre. La langue de Mustapha Kharmoudi, d’une grande poésie, convoque l’imaginaire avec force. Mon désir était donc de donner partiellement corps aux images et d’obliger les spectateurs à en imaginer le reste; glissant ainsi dans un entredeux-Monde, où les lignes connues sont troubles. Les contours de l’Être peuvent alors se dessiner loin des préjugés, l’empathie devient possible…
Pensez-vous que dans le contexte actuel, nous soyons capables de dépasser le piège de la stigmatisation à l’égard des migrants ?
Quel autre choix avons nous? La persistance de la stigmatisation est une bombe à retardement dont les conséquences sont à redouter. Elle est dangereuse et irresponsable car elle peut engendrer colère et frustration, terreau de l’extrémisme et du fascisme. Il est urgent d’apprendre à vivre ensemble dans le respect et l’acceptation de nos différences, et de partager les richesses…
Le théâtre a selon vous encore toute sa place dans les efforts d’apaisement multipliés çà et là afin que les populations parviennent à s’entendre ?
Le théâtre, et la culture en général, ont le pouvoir d’ouvrir les esprits. Le théâtre, tous styles confondus, et le spectacle vivant en général, sont l’expression subjective d’une vision esthétique du monde. Une question se pose alors: quel monde voulons nous raconter et à qui? Il est urgent que les artistes créateurs, les programmateurs, les institutions qui subventionnent, prennent leurs responsabilités face à une société pourtant si riche de ses identités multiples quand ils continuent de présenter des spectacles perpétuant des schémas d’une société qui n’existe plus. Ce qui conduit inévitablement à la désertion de certains lieux culturels, non par manque de moyen ou de culture, mais par conscience de l’exclusion. Il est vital de faire le choix de l’élargissement de la vision, comme une passerelle de l’un vers l’autre ( et je ne parle pas de cette hypocrisie qu’on appelle « diversité ») plutôt que celui de l’exclusion au profit d’une pseudo élite. Contribuer, aujourd’hui plus que jamais , à l’édifice si fragile du « Vivre ensemble » est primordial au risque de revenir aux heures les plus sombres de notre pays… Se taire ou ne rien faire nous rend complice…
