Aujourd’hui peu encline à assurer le minimum vital en termes de visibilité, La France fut pourtant en son temps un des pays les avancés en termes de diversité. En 1904, le vice-président de la Chambre des députés, Gaston Gerville-Réache, est noir, des artistes comme Joséphine Baker s’installent à Paris, permettant à des personnalités d’éclore dans le monde politique, médical, audiovisuel et artistique. L’histoire, on le sait, balbutie souvent mais comment expliquer un tel bond en arrière ?
A la journaliste Françoise Delbecq qui lui demandait de s’exprimer à propos du racisme toujours présent en France, Omar Sy répondait avec beaucoup d’intelligence : « On avance un petit peu… » (« Elle », janvier 2016) Une façon de signifier à son interlocutrice qu’on ne pouvait comparer la situation d’aujourd’hui au racisme affiché et revendiqué du début du siècle mais que la marge de progression restait énorme! Bref, un « Peut mieux faire » souligné au marqueur rouge avec alinéa dans la marge pour un « Vous me le copierez 100 fois ». C’est là l’un des grands paradoxes français. Donner si peu de visibilité aux Noirs de France en 2016 alors qu’en 1904, le vice-président de la Chambre des députés, Gaston Gerville-Réache, est noir et que 15 ans plus tard, des artistes de génie comme Joséphine Baker, que Régis Debray verrait bien aujourd’hui rentrer au Panthéon, s’installent à Paris…
Les préjugés hérités de l’histoire coloniale et des zoos humains et qu’ont nourri certains écrits des philosophes des Lumières*(1) n’ont pas empêché Joséphine Baker de briller au firmament et plus encore, d’être reconnue aujourd’hui comme figure de la Résistance, ou Habib Benglia de monter la Rose Rouge et de partager l’affiche avec Michel Auclair au Théâtre des Mathurins, à des hommes politiques de devenir députés puis membres de plusieurs gouvernements – Comme Henry Lémery, Gratien Candace, Gaston Gerville-Réache, Achille René-Boisneuf, Alcide Delmont, Joseph Lagrosillière, Gaston Monnerville, Auguste Brunet ou Blaise Diagne- à des intellectuels ou écrivains (comme René Maran, Aimé Césaire ou Claude McKay) de s’exprimer, d’être élus ou d’être reconnus…
Cela n’empêche pas non plus toute une génération d’artistes de prendre place dans les caves de Saint-Germain-des-Prés où le jazz devient alors une musique nationale… Ah le regard de Juliette Greco à Miles Davis dont elle fut follement éprise…
Et puis, à Bordeaux, Toulouse, Grenoble Lyon ou à Rennes s’installe une nouvelle génération d’étudiants noirs… « Le paradoxe français perdure, faisant naître au sein de la diaspora noire de France les plus grands espoirs » (2) comme le montre le Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956, réuni à Paris ou l’incroyable aventure des Griots, cette troupe constituée d’Antillais et d’Africains qui monte Les Nègres de Genet en 1959 et dont la réputation rayonnera jusqu’en Amérique. » Bref, quand les médias généralistes écrivent que les choses avancent, l’histoire dit le contraire. Pour peu qu’on l’interroge.
Isabelle GAZANIA-HAAS
(1) Les Blancs sont supérieurs à ces Nègres, comme les Nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres. » Voltaire (Traité de métaphysique)
(2)La France noire: présences et migrations des Afriques, des Amériques et de l’océan Indien en France, Pascal Blanchard, Alain Mabanckou, 2012
