Le biopic sur Nina Simone méritait-il une polémique?

L’édito de Libé « Visage noir, idées pâles » signé Tania de Montaigne à propos de la polémique suscitée par le biopic sur Nina Simone nous a laissé un goût amer. Comme l’empreinte d’un marc de café trop fort qui ne parvient pas à se dissiper. Et comme les choses vont mieux en les écrivant…

Est-ce l’emploi du terme « Politburo autoproclamé » pour désigner des associations, des intellectuels, des leaders d’opinion désapprouvant à grand bruit le choix de Zoé Saldana pour jouer Nina Simone  qui nous a fait réagir? Peut-être, car au-delà de l’assimilation d’une communauté à un organe politique suprême soviétique qui ne nous paraît pas très fondé (pourquoi ne pas comparer la levée de boucliers des internautes aux actions des Black Panthers tant qu’on y est), c’est le fait de globaliser la communauté afro dans son ensemble. C’est vrai, la fille de Nina Simone ne voulait pas de Saldana dans le rôle titre, et sur Twitter, les commentaires acerbes ont fusé mais Tania de Montaigne qui signe l’édito ne parle ni du soutien qu’a reçu l’actrice de la part de célébrités afro-américaines comme  Queen Latifah ou Paula Patton ni des noirs américains tentant de pacifier les choses en disant qu’après tout, si Diana Ross avait joué Billie Holiday, Zoé Saldana était tout à fait crédible en Nina Simone.

Et puis, il y a quelque chose de troublant à ne parler que des réactions de la seule communauté noire ou métissée alors que des internautes non intronisés par le Politburo se sont étonnés eux aussi du choix de Saldana. « Le fait qu’ils aient pu croire qu’il était pertinent de choisir Zoe Saldana pour jouer Nina Simone me laisse encore très perplexe » écrivait Katie Kaiser, très, très loin elle aussi, d’être noire.

A propos de noire justement. -Et pas de Black, par pitié ! – Zoé Saldana n’est pas noire comme l’écrit Tania de Montaigne. Elle est métisse. La nuance est importante parce que, pour peu que l’on suive les débats qui agitent encore la communauté afro-américaine, le rapport douloureux des noires à leur peau est toujours aussi présent. A tel point que, comme l’écrit la formidable écrivain Chimamanda Ngozi Adichie dans le non moins éblouissant Americanah ; si Obama est à ce point adoré c’est parce qu’il a épousé une vraie noire. Une réflexion douce-amère qui peut faire sourire à Paris mais qui a une résonance particulière aux États-Unis.

Et puis enfin, comment occulter,  au vu de l’histoire du pays, le fait que le maquillage plus ou moins réussi de Zoé Saldana rappelle à la communauté afro-américaine qu’au début de ce siècle, c’est ce même grimage auquel avaient recours les acteurs blancs pour jouer des noirs. Comment oublier le très émouvant discours de Lupita dont les prières étaient toute tournées vers le vœu secret d’avoir la peau claire? Les médias ont beau dos de rétorquer que les noires devraient assumer leurs différences quand les diktats de la beauté vont à l’inverse de ce qu’elles représentent.

Ce n’est pas le teint trop clair de Saldana qui est montré du doigt; c’est le fait que l’actrice américano-dominicaine ait été grimée (un faux nez et du fond de teint noir) pour endosser le rôle d’une femme à qui elle ne ressemble en rien. Voici ce qui a mis en colère une partie de la communauté noire aux États-Unis. A propos de colère d’ailleurs; comme tout sentiment, elle est par définition légitime. Il n’y en a pas de bonne ou de mauvaise, on la ressent voilà tout. Après, la question est de savoir ce que l’on en fait.

Isabelle GAZANIA-HAAS

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