Pour mesurer le long chemin parcouru dans la lutte pour davantage de diversité sur nos écrans, il faut voir le discours de Viola Davis, première actrice noire à avoir remporté un Emmy Awards. Ironie de l’histoire, c’est à cause de son teint trop clair que les portes des studios se fermèrent à tout jamais pour la sublime actrice métisse Fredi Washington…
Les métissages n’ont pas toujours engendré de belles histoires. La jolie Fredericka Carolyn Washington vint au monde à Savannah, en Géorgie sur les terres d’un Sud suprématiste où les métissages entre Blancs et Noirs étaient encore rarissime. Métisse aux yeux verts et à la peau très claire, elle est l’aînée de cinq frères et sœurs. Sa beauté et sa grâce qu’elle tient d’une mère danseuse ne sont pas pour rien dans l’irrésistible ascension de Fredi Washington qui a choisi d’embrasser la carrière d’actrice. C’est sa prestation dans Imitation of Life, avec Lana Turner et Claudette Colbert, dans lequel elle joue une jeune femme noire pouvant passer pour une blanche, qui la rend célèbre.
« N’oublie surtout pas que tu es une négresse ! »
Mais tous ses espoirs sont stoppés net par les studios de Hollywood. La belle a en effet l’outrecuidance de refuser de mentir sur ses origines. « Sois blanche et tais-toi », lui ordonnent les studios, encore bien peu favorables aux métissages, qui lui soufflent que si elle se faisait passer pour Blanche, comme le faisait son personnage dans Imitation of Life, les portes du succès s’ouvriraient en grand. Elle refuse. Et sait qu’elle signe l’arrêt de sa carrière.
Que peut-il bien se passer alors dans la tête de cette jeune fille aux vrais airs de Gene Tierney ? Elle sait que rien n’est simple pour les actrices noires ; comme le rappelle Télérama (1) « Dans les campagnes du Sud où King Vidor a choisi de tourner, pour donner à son film Halleluya une remarquable couleur documentaire, un technicien blanc n’a-t-il pas poussé l’actrice noire Nina Mae McKinney un jour à bout en lâchant : « N’oublie surtout pas que tu es une négresse ! »Il a fallu en avaler des couleuvres pour ouvrir la voie aux acteurs noirs, surtout des hommes, qui triomphent aujourd’hui. Tel un Will Smith qui sait ce qu’il doit à ses aînés quand il décide de boycotter des Oscars jugés So white. Fredi Washington, reconvertie dans le théâtre et l’activisme, ne fonda-t-elle pas la Negro Actors Guild of America (NAG) en 1937 pour créer de meilleures opportunités professionnelles aux acteurs noirs ? A la fin de sa vie elle déclara : « Je n’ai jamais essayé de passer pour une femme que l’on aurait blanchie, et n’en ai jamais eu aucun désir, je suis fière de ma course. » Nous aussi.
(1) Télérama, « Les années noires des acteurs blacks », Laurent Rigoulet, 2007.
