Il y a ce qu\u2019on appelle les \u00abminorit\u00e9s visibles\u00bb.<\/p>\n

Moi, je suis de la majorit\u00e9 transparente.<\/p>\n

Blanche, taille moyenne, n\u00e9e \u00e0 Grenoble (Is\u00e8re, France m\u00e9tropolitaine). Cet atavisme r\u00e9gional voudrait que j\u2019aime le ski, la montagne et la tartiflette, mais pas de pot, je d\u00e9teste les trois.<\/p>\n

Mais tout le monde s\u2019en fout, car on ne me demande jamais d\u2019o\u00f9 je viens – ni si je suis contente de voir de la tarte aux noix au menu.<\/p>\n

Je symbolise la Fran\u00e7aise en bout de table, celle qui change de couleur de cheveux vingt-cinq fois dans sa vie dans l\u2019espoir qu\u2019on l\u2019identifie comme \u00abTu sais, la grande blonde\u00bb, ou alors \u00abMais siiii, la brune aux yeux bleus\u00bb. Elle trouve jamais la bonne.<\/p>\n

Mais celle aussi \u00e0 qui on colle l\u2019appareil dentaire rembours\u00e9 par la S\u00e9cu avant ses 16 ans pour avoir les m\u00eames dents que tout le monde, qui se paye les m\u00eames nichons que les filles des mags pour ses trente ans. Qui suit la mode, pour pas d\u00e9passer.<\/p>\n

Mais la norme me terrifie.<\/p>\n

Que les gens ne s\u2019int\u00e9ressent pas aux autres gens est au pire la mort de l\u2019humanisme, au mieux une impolitesse.<\/p>\n

A la Fran\u00e7aise de bout de table, on ne demande pas d\u2019o\u00f9 elle vient. Ce n\u2019est pas grave, mais parfois \u00e7a aiderait \u00e0 d\u00e9couvrir que derri\u00e8re ses dents bien align\u00e9es, son rin\u00e7age Jean-Louis David et ses nichons calibr\u00e9s, elle est une fille unique en son genre. Qu\u2019elle voyage beaucoup, parce que Grenoble c\u2019est quand m\u00eame moins beau que les \u00eeles. Qu\u2019elle se cherche une ville d\u2019adoption – question d\u2019identit\u00e9, toujours. Qu\u2019elle sait cuisiner plein de sp\u00e9cialit\u00e9s qu\u2019elle a d\u00fb inventer elle-m\u00eame, pour qu\u2019on puisse l\u2019associer \u00e0 un truc – m\u00eame au boudin blanc, elle s\u2019en fout.<\/p>\n

Sauf qu\u2019\u00e0 la fin du repas, elle se tire, et personne n\u2019en sait rien.<\/p>\n

Moi, Fran\u00e7aise issue de la majorit\u00e9 transparente, j\u2019ai peur que mes soeurs noires ou arabes ne sachent plus \u00e0 quel point leur visage est pour moi une invite, une introduction \u00e0 ce qui va peut-\u00eatre nous lier. Notre origine devrait \u00eatre le d\u00e9but d\u2019une conversation. Au lieu de cela, notre soci\u00e9t\u00e9 parano-normative confond curiosit\u00e9 et malveillance, associations d\u2019id\u00e9es et racisme primaire.<\/p>\n

Ne faites pas \u00e7a. Personne ne devrait vouloir rentrer dans la norme. C\u2019est flippant.<\/p>\n

Alors soyez m\u00e9tisses, soyez noires, soyez arabes! Ne cherchez pas \u00e0 \u00eatre autre chose, comme la fille en bout de table, s\u2019il vous pla\u00eet. Parce qu\u2019\u00eatre l\u00e0-bas, c\u2019est juste chiant.<\/p>\n

N\u2019oubliez jamais que vos ic\u00f4nes – Nelson Mandela, Martin Luther King ou Bob Marley – on vous les pique, parce que nous, on a jamais eu grand-chose \u00e0 d\u00e9fendre en mati\u00e8re de Droits, pas de gloire \u00e0 tirer de nos avanc\u00e9es.<\/p>\n

On est un pays triste, politiquement correct, r\u00e2leur, je m\u2019en d\u00e9sesp\u00e8re. Pour le changer, il faut d\u2019abord se changer nous.<\/p>\n

Riz cr\u00e9ole ou boudin blanc, par piti\u00e9: soyons diff\u00e9rents, et SURTOUT: aimons l\u2019\u00eatre.<\/p>\n

Laurence PEYRIN<\/strong><\/p>\n

Photo Christian Pfahl \/ calixte.ch<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Il y a ce qu\u2019on appelle les \u00abminorit\u00e9s visibles\u00bb. Moi, je suis de la majorit\u00e9 transparente. Blanche, taille moyenne, n\u00e9e \u00e0 Grenoble (Is\u00e8re, France m\u00e9tropolitaine). Cet atavisme r\u00e9gional voudrait que j\u2019aime le ski, la montagne et la tartiflette, mais pas de pot, je d\u00e9teste les trois. Mais tout le monde s\u2019en fout, car on ne… <\/p>\n