De l’invisibilité des femmes noires en France

Co-auteur avec Rokhaya Diallo du livre « Moi raciste, jamais ! », Virginie Sassoon, sociologue des médias nous explique pourquoi les minorités restent encore si peu représentées dans la presse généraliste. Des médias chez qui nombre de préjugés ont la vie dure…

L’uniformité des canons de beauté persiste dans l’univers de la mode et la presse féminine reste toujours aussi peu représentative au regard de son lectorat, pourquoi selon vous ?

On sait en effet que les lectrices de Elle, comme de tous les magazines féminins, ne se retrouvent pas forcément dans les pages où l’absence de diversité reste significatif. Malgré tout, les choses évoluent, notamment chez Elle qui a vécu une expérience douloureuse après la publication de son article « Black fashion power » en 2012. Une plus grande attention est donnée à la mixité et je constate une évolution assez positive en termes de sensibilité et de représentativité ; Christiane Taubira a fait la couverture, les pages mode mettent en scène plus souvent des mannequins métisses, issus des minorités, etc.

Que répondriez-vous à ceux qui disent qu’après tout, il existe une presse spécialisée pour les femmes noires par exemple…

Ces médias, aussi professionnels soient-ils, répondent à des besoins spécifiques, le plan esthétique notamment, qui pourraient d’ailleurs être abordés plus souvent par les médias généralistes. Mais ce sont les médias grand public qui font bouger les lignes en terme de représentation. Plus ils présenteront une image diversifiée de la société, mieux ce sera. La presse féminine est un outil d’identification puissant dont l’impact reste sous étudié en France. Il est essentiel que l’ensemble de la population française se retrouve dans ses médias. La visibilité médiatique permet de s’identifier, ce qui est un élément central dans le sentiment de reconnaissance sociale. Par exemple, un journaliste noir au journal télévisé du 20h donne le sentiment à des Français non blancs qu’ils existent et aussi qu’ils peuvent exercer la profession de journaliste. Les responsables des médias ne doivent pas négliger ce lien-là.

Au-delà de la sous-représentation des minorités, vous avez récemment pointé du doigt les journalistes, responsables de véhiculer nombre de préjugés. Dans l’ouvrage que vous avez dirigé « Précis à l’usage des journalistes qui veulent écrire sur les Noirs, les musulmans, les asiatiques…», l’article de Rokhaya Diallo pointe une série de clichés : Rama Yade est souvent qualifiée de « belle Rama » aux « allures de princesse d’Afrique », Yamina Benguigui, affublée du qualificatif de « Shéhérazade cinématographique »

En effet, les femmes politiques issues des minorités subissent une double articulation du sexisme et des préjugés racistes. Les fantasmes et l’imaginaire hérités du passé colonial sont tenaces. Par exemple, pour beaucoup de personnes, être Français, c’est encore être blanc. Les personnes non blanches nées en France sont parfois épuisées de s’entendre demander à tout bout de champ : « D’où venez-vous ? » et d’être renvoyées sans cesse à un ailleurs.

Restez-vous optimiste malgré tout ?

Oui, il ne faut pas perdre la foi ! Ni en les journalistes, bien que les médias contribuent à véhiculer de nombreux clichés, ni en la politique, malgré les promesses non tenues des politiciens. Il faut continuer à se battre pour que la prise de conscience née dans les années 90 concernant la faible représentativité des minorités dans les médias aboutisse à des actes concrets, que les discriminations soient sanctionnées, que des commissions agissent. C’est maintenant qu’il faut agir, le temps presse et nous avons trop attendu.

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