Naomi Campbell, Iman, Liya Kebede, Alek Wek… quelles semblent loin ces années de consécration des tops noirs. Car aujourd’hui, sur les podiums, la diversité se réduit comme peau de chagrin. Qu’est-il arrivé au mode de la mode pourtant acquis depuis Yves Saint Laurent, Paco Rabbane et Courrèges à la beauté noire? Entretien avec le premier mannequin suisse d’origine africaine : Annie-Michèle Dinga Oté.
Bien sûr Naomi Campbell et Jourdan Dunn posent pour la campagne printemps-été 2015 Burberry. Rihanna est la nouvelle égérie Dior, Willow Smith la dernière recrue de la maison Chanel. Et Lupita Nyong’o a été élue plus belle femme du monde. Mais ce n’est pas elle qui a été choisie pour jouer le rôle de Nina Simone. Pas plus que Viola Davis. A la place, les studios leur ont préféré Zoé Seldana grimée pour le rôle, de la tête aux pieds pour se rapprocher physiquement de la mythique chanteuse.
Et si Joan Smalls, Chanel Iman, Jourdan Dunn, Malaika Firth et Grace Mahary s’affichent -au compte goutte- dans les pages des magazines, et surtout Outre-Atlantique, les mannequins noires à la peau foncée trouvent de moins en moins de travail en 2016. A la tête de l’agence Annie Michèle Models à Genève, seule structure à avoir l’agrément sur la place, sa directrice au prénom éponyme le constate amèrement -Les mannequins noires de l’agence, davantage que les Métis et les Blanches, m’ont alertée sur cette situation et demandé d’intervenir auprès de mes clients. »
(Malheureux) signe que le phénomène n’épargne plus les tops célèbres à la peau sombre : le coup de gueule de la sublime sud-soudanaise Nykhor Paul qui a dénoncé les inégalités auxquelles doivent faire face certains mannequins noirs. Dans une lettre ouverte publiée sur Instagram, le mannequin a déclaré qu’elle en avait assez de s’excuser « d’être noire foncée ». Plus récemment, c’est Ajak Deng qui a claqué la porte, écrivant : « I can no longer deal with the fakes and the lies. My life is too short for this dramatic life! »… Une vraie perte pour l’univers assez lisse et normé de l’univers de la mode et qu’Annie-Michèle Dinga Oté déplore. Mais elle comprend la décision de la top. « Quand votre couleur de peau devient un handicap, lorsque l’on vous fait sentir qu’en dépit de votre beauté et de votre talent, vous êtes beaucoup trop noire pour être prise, c’est insupportable. » Pour celle qui fut le premier top noir en Suisse dans les années 90 et qui ne subit à l’époque aucune discrimination-Annie Michèle a défilé pour Ferragamo, Pacco Rabbane, Azzedine Alaïa qui consacraient alors la diversité-, c’est un retour en arrière incompréhensible. « Il s’agit non seulement de racisme mais ce rejet des mannequins noirs va à l’encontre de l’essence même de la mode, qui fait partie intégrante du domaine artistique. Depuis quand l’art exclut les gens à cause de leur couleur de peau? ». Peut-être faut-il « y voir un avertissement suggère Annie-Michèle, car après l’élection d’Obama, beaucoup prétendaient que le racisme avait reculé. On a la preuve aujourd’hui que c’est loin, très loin d’être le cas. »
Isabelle GAZANIA-HAAS
